Toujours plus mobiles. Assurer les continuités.

Par Luc Gwiazdzinski

Publié dans La Croix, Edition du 10 septembre 2010

L'évolution des mobilités s'inscrit dans un contexte urbain en mutation. Partout en Europe, on a assisté au cours des dernières années à un étalement des villes aboutissant à l'émergence de vastes territoires métropolitains sans bornes, où chacun cherche de nouveaux repères et de nouveaux lieux. Contrairement aux prévisions, le développement des TIC (Technologies de l'information et de la communication) n'a pas empêché l'accroissement de la mobilité, au contraire. Les discours sur la « mobilité durable » n'ont pas entraîné une baisse notable des déplacements. Seuls les surcoûts de l'énergie semblent influencer la consommation et les pratiques. Sur le long terme, les distances parcourues se sont stabilisées autour de 15 kilomètres pour les seuls déplacements quotidiens domicile-travail.

Mais les mobilités changent de forme. La mobilité est de plus en plus « zigzagante » à buts multiples. Les salariés par exemple font un ou plusieurs arrêts entre leur domicile et leur travail pour effectuer les courses ou déposer les enfants à l'école et la voiture demeure reine. La mobilité devient une condition de participation à la vie collective et le « droit à la mobilité », un droit générique. Elle s'est installée comme une valeur.

Outre les efforts sur l'utilisation des énergies renouvelables et le développement des transports publics, l'ampleur des enjeux oblige à ouvrir d'autres pistes. On doit passer d'une réflexion sur les réseaux de transports à une approche en termes de système global de mobilité, d'une logique de modes de déplacement à une réflexion sur les parcours, du court terme de l'adaptation au long terme de l'aménagement métropolitain en évitant les inégalités entre territoires et populations. On peut rêver d'un changement de paradigme qui dépasse les petits arrangements techniques, les solidarités du covoiturage, pour faire de la mobilité un enjeu de société. L'expérience suisse montre qu'il est indispensable d'assurer les continuités : continuité spatiale et géographique des systèmes à l'échelle de la pulsation métropolitaine, continuité temporelle des services même en période de faible fréquentation (nuit, week-end, vacances) ou continuité informationnelle pour gérer sans stress l'intermodalité, continuité tarifaire entre les modes de déplacement et continuité politique en veillant à la cohérence des stratégies des différentes collectivités concernées.

En Suisse, vous pouvez consulter les horaires, construire votre parcours et réserver vos billets sur des réseaux interconnectés et cadencés (train, bus, téléphériques, bateaux, voitures partagées...) et vous rendre rapidement d'un point à un autre du pays. Les abonnés reçoivent mensuellement leur « facture de mobilité » comme nous les factures de gaz ou d'électricité. Il faut injecter la variable temps dans les outils d'aménagement de l'espace comme les plans locaux d'urbanisme (PLU) et les schémas de cohérence territoriaux (Scot).

C'est aussi en limitant l'étalement urbain que nous pourrons éviter de courir après la banlieue et éviter les « mobilités zigzagantes ». Il pourrait être judicieux d'organiser territorialement les horaires de travail dans les entreprises, les collectivités et les universités afin d'étaler les heures de pointe et d'assurer la fluidité. C'est une question d'intelligence collective. Certaines villes italiennes s'y sont essayées avec un certain bonheur autour de « pactes de mobilité ». Nous devons également veiller à l'ergonomie des espaces de mobilité (gares, wagons, arrêts de bus...) et à la lisibilité des informations. Il faut parfois une loupe pour lire un horaire sur des fiches microscopiques et bien du courage pour trouver des indications sur un possible bus dans les gares TGV.

Pour aborder efficacement le chantier des mobilités, il est primordial d'abolir les frontières entre la recherche et l'expérimentation en mettant en place des « plates-formes territoriales d'innovation ouvertes » associant chercheurs, autorités organisatrices de transports, associations, collectivités et citoyens sur tous les aspects de la question : observation, mise en place et suivi de solutions adaptées.

La question des mobilités est une question d'échelle territoriale et temporelle, de culture et d'organisation. Nous devons retrouver le temps long et l'espace profond de l'aménagement et apprendre à construire avec les principaux intéressés, usagers et citoyens, pour passer d'une gestion technique et spécialisée des transports à une « intelligence partagée des mobilités ». C'est le sens des recherches, des expériences qui s'engagent dans toute l'Europe pour une amélioration de la qualité de la vie et de la ville.

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