Rendre l’homosexualité lisible en milieu rural (*)


Rendre l’homosexualité lisible en milieu rural (*)

par Ronald Grootaers, Président de l’association Pink pastorale

En milieu rural on vit et on travaille très souvent dans un cadre familial. On connait bien son village, son entourage et on fait partie d’une communauté bien définie géographiquement surtout en zone de montagne. Selon les moments, les cas et les populations, c'est un avantage ou un inconvénient, un enfermement ou une ouverture. En ce sens la condition particulière des homosexuels en milieu rural et les initiatives développées sont intéressantes à analyser tant en termes de difficultés que d'innovations. C'est le sens de cette communication qui s'intéresse à la question sur un secteur rural des Alpes de Haute-Provence.

Une forte pression sociale
Être homosexuel à la campagne entraîne souvent un repli sur soi. La peur de l’incompréhension de l’entourage familial, amical et social apparait comme un obstacle insurmontable. On peut citer l’ancien premier Ministre Monsieur Raffarin s'exprimant sur le sujet : « L’isolement engendre des conséquences au plan social. Toutes les études montrent que c’est un facteur déterminant des processus d’exclusion ». Parmi les causes d’isolement, il y a celles liées à la découverte d’une orientation sexuelle différente et l’image de soi souvent dégradée renvoyée par l’environnement. Toujours selon M. Raffarin « Le sentiment d’abandon et de dépréciation accélère la dépendance et favorise les situations de vulnérabilité physique et psychique, ce qui est propice à la maltraitance et au suicide ». Or l’homosexualité n’est pas un choix. Le sentiment d’inadéquation personnelle ou sociale avec l'environnement et la difficulté à accepter son orientation homosexuelle ou bisexuelle contribuent à la construction d’une faible estime de soi, aggravée par l’image négative de l’homosexualité, les rejets vécus, la dépréciation quotidienne et les difficultés de socialisation avec l’entourage. Ces éléments entrainent un repli et un sentiment de solitude accentués en milieu rural. L’homosexualité est encore associée à une image négative et les adolescents doivent composer avec cette réalité pour construire une image d’eux-mêmes. L'absence de modèles positifs conduit souvent ces jeunes à un déni de leur propre personne et à une homophobie intériorisée, qui peuvent aller jusqu’au désir de mourir.

Une expérience personnelle
Je me suis installé en 1989 en  milieu rural dans les Basses alpes où j'ai fait l'acquisition d'une campagne, une ferme avec ses terres dans une commune agricole. Après mon divorce en 1995, je suis devenu père homoparental. A cette époque l’homosexualité en milieu rural était presque invisible, au moins en surface. Les difficultés et l’isolement pouvaient expliquer que deux femmes ou deux hommes vivent ensemble. L'accueil était très différent pour les couples homosexuels -en général des néo-ruraux - ayant fait leur coming-out. C’était encore rare avant les années 2000. J’ai vécu cette différence de traitement mais je n'en ai pas souffert.

La situation a radicalement changé à l’entrée de ma fille au lycée en 2004. Elle a très mal vécu le rejet d’adolescents homosexuels de son entourage par les autres. A cette époque, il n’était pas rare qu’elle invite des ami(e)s à la maison, pour parler avec nous de la différence et de la manière de la gérer. Cette année là, deux adolescents se sont suicidés dans son lycée : des suicides directement liés à leur orientation sexuelle. C’est ce qui nous a poussé à créer une structure "la Pink pastorale" afin permettant de comprendre ces difficultés d’intégration dans la société rurale, leurs causes, leurs effets et d'élaborer collectivement des pistes de réponses.

Une normalisation en cours
L’évolution des mentalités ne se décrète pas. Il ne suffit pas de la désirer. Néanmoins l’expérience de la Pink Pastorale a démontré qu’une évolution rapide des mentalités était possible et même souhaitée par nos concitoyens. La discussion, l’échange et la confrontation des opinions, mènent à une normalisation de l’homosexualité, au sein de la communauté qui est attendue et même souhaitée. Elle mène à une libération et à une ouverture d’esprit particulièrement visibles chez les adolescents. 

La réflexion menée avec les jeunes sur leur sexualité est sans complexes. Les 15-17 ans refusent la stigmatisation. Leur sexualité et très intériorisée et reste un jardin secret. Les 17-20 ans ont une approche plus extériorisée et ressentent le besoin d’en parler. Pour 90 % d'entre eux, l'orientation sexuelle est  fixée sans trop d’hésitation. Les autres se laissent le temps du choix mais ne se sentent pas obligés : la bisexualité est devenue une normalité. Le coming-out leur semble une entrave à une vie sociale épanouie. La discrétion reste le maitre mot compte tenu des risques de stigmatisation. Les 20 -35 ans  vivent leur sexualité (homo-bi-hétéro) chez eux à la campagne, au sein des universités qu'ils fréquentent ailleurs en ville et au travail. Ils la vivent le plus souvent sans complexes avec une étonnante maturité et une analyse juste de la société et de son fonctionnement. La fondation d’une famille homoparentale reste un obstacle pour les homosexuels en milieu rural comme en ville. Ils ne sont pas toujours prêts à franchir ce pas compte-tenu des risques de stigmatisation.

Une association visible la Pink pastorale
C'est sur la base de ces premiers constats qu'en mai 2006, avec quelques amies, nous avons décidé de créer l’association Pink Pastorale, afin de créer une visibilité de l’homosexualité en milieu rural. Très vite, un grand nombre de sympathisants se sont ralliés à l'initiative. Nous étions six personnes à la fondation et 160 adhérents dès juin 2006. Très vite on s’est aperçu qu’une structure comme la nôtre n’était pas la bienvenue dans le paysage rural et politique. En juin 2006 nous décidons du premier événement : un repas champêtre à la campagne. Le maire nous donne l’autorisation mais dans le même temps il écrit une lettre au Préfet, afin d’exprimer ses craintes sur un rassemblement -je cite- qui vise à « banaliser des comportements qui ne sont que l’expression d’une maladie spirituelle ». La réaction disproportionnée, reste encore ancrée dans nos mémoires. Le temps n’est pas loin où une sexualité différente était encore considérée comme une sexualité déviante. Il n’était pas rare de voir des jeunes traités chimiquement par des psychologues voire internés pour les même raisons. La manifestation a finalement eu lieu sous bonne garde des CRS dans une ambiance champêtre mais très tendue.
Le premier constat est accablant. On assiste à des suicides banalisés, d’adultes et adolescents. Des traitements psychiatriques sont encore demandés par les parents. Pour beaucoup de ruraux, l’homosexualité reste une maladie. Nous prenons conscience que les mentalités qui s’expriment avec une telle véhémence sont liées à un fonctionnement traditionnel et à une méconnaissance de l'autre.

Une évolution perceptible des mentalités
A l’été 2006, le dialogue s’est installé au sein des familles entre parents et enfants, maris et femmes et entre générations. Il est intéressant de noter que la génération ayant vécu la seconde guerre mondiale était bien plus ouverte au dialogue et au soutien que les suivantes. La génération des 30-40 ans avait davantage de mal à intégrer cette nouvelle donne. A la fin de l'été, au niveau du village, l’homosexualité était intégrée. Des coming-out se sont faits de manière spontanée, et la vie a repris son cours.
On a commencé à parler d’une sexualité différente, sujet difficilement abordé jusque là. Le dialogue s'est également construit par l'intermédiaire de la presse et des media. Des soutiens inattendus nous sont parvenus du monde entier, notamment du Canada, mais aussi du village, et plus particulier des anciens et des mères de familles. Depuis lors, aucun acte homophobe n’est à déplorer dans la vallée, ni aucun suicide lié à la sexualité. On constate même une forme de discrimination positive. Dans une même logique de tolérance, les vieux bergers célibataires homosexuels ou non, sont mieux logés, s’habillent bien et gagnent leur indépendance financière. Les logements sont plus facilement loués aux couples homosexuels. Dans les années qui ont suivi plusieurs couples homosexuels et homoparentaux se sont installés dans la vallée, mais cela reste encore marginal.

Des avancées et des demandes
Depuis 2006, l’association a privilégié l’accueil des jeunes, les contacts avec les parents, les échanges avec d’autres villages. 70 % des membres sont hétérosexuels et la mixité s’est naturellement imposée. Aujourd’hui nous comptons des membres dans toute la France et au-delà en Europe. Des demandes nous parviennent de Corse et d’autres départements. La diaspora corse à Marseille, espère pouvoir dupliquer notre expérience sur l’ile. L'association Pink pastorale a développé des activités dans différentes directions : interventions en milieu médical, écoles d’infirmières ou à l’IUFM. Elle continue à privilégier les rencontres et échanges conviviaux avec toute la population au-delà de la vallée.

Des blocages qui persistent

Au-delà de la vallée, des politiques départementaux s’intéressent au projet, mais restent encore frileux. Les petites phrases de certains membres de l'exécutif départemental sont explicites : « On n’a pas besoin de ça, chez nous à la campagne » affirme un député. « L’homosexualité n’existe pas dans nos campagnes », « Les déviances sexuelles restent l’affaire de médecins" insistent d'autres.
A propos des démarches de prévention des suicides et MST dans les lycées que la Pink pastorale souhaitait développer, nous avons malheureusement encore entendu les propos suivants : « Il est impensable de faire de la prosélytisme homosexuel dans nos lycées » ; « Parler d’homosexualité est la cautionner ».
De manière assez paradoxale, même dans la communauté gay urbaine, la question de l’homosexualité en milieu rural est peu ou pas prise en compte. A Paris lors d’une intervention sur Pink TV, nous nous sommes entendus dire par la direction intéressée : « Si c’est difficile d’être homo  la campagne, pourquoi vous ne venez pas vivre dans le marais ? ; « Il faut être malade pour vivre à la campagne ».
Si dans notre petite vallée de Haute-Provence, les mentalités ont beaucoup évolué il n’en n’est pas toujours de même dans le reste de la région et du pays. Il est intéressant de noter que l’évolution est venue de la population locale qui a su changer de regard. L’expérience de la Pink pastorale est une démarche quotidienne et modeste qui a permis de faire bouger les lignes.

(*) Extrait d'une communication au Colloque International Masculins / Féminins, Grenoble, 10-12 décembre 2012