Schéma Directeur de la Région Ile-de-France : de Paris-plage à Paris-bunker

par Gilles Rabin et Luc Gwiazdzinski

Octobre 2007


"Le court terme hurlant ne doit pas occulter le long terme silencieux". Edgar PISANI

Le succès actuel d’opérations comme Vélib, Paris Plage ou Nuits Blanches et leur impact positif sur la qualité de vie à Paris Intra-muros ne doivent pas faire oublier l’embrasement récent des périphéries et l’ardente nécessité de réfléchir à une autre échelle, celle de la région parisienne et à plus long terme sur 25 ans au moins. Le Schéma Directeur de la Région Ile de France (SDRIF) de 1994 qui avait cette vocation de maîtrise et d’organisation du développement métropolitain est malheureusement un échec. Les prévisions de consommation d’espace ont explosé alors que dans le même temps, l’emploi et le logement n’ont jamais atteint les niveaux minimum requis. Une seconde chance devait être donnée aux acteurs locaux invités à réinventer un autre avenir dans le cadre du nouveau schéma directeur. Le temps des grandes décisions était enfin venu.

Occasion ratée. Les édiles régionaux s’en étaient persuadés : le prochain SDRIF serait enfin à la hauteur des ambitions de la région capitale pour les 25 prochaines années. On allait revoir la copie et changer de braquet. Cette fois le Conseil régional d’Ile de France avait les mains libres, sans la forte tutelle de l’Etat qui avait pesé dans le précédent exercice persuadé que le partage des richesses valait mieux que sa concentration et qui avait distribué aux villes de Province les soi-disant emplois stratégiques. La montagne a une nouvelle fois accouché d’une souris. Coincés entre des écologistes volontaristes et une détermination politique plutôt molle, les concepts de construction de « ville sur la ville », de « diminution de la mobilité », mais aussi une obscure tentative « d’équilibrage » d’une région naturellement déséquilibrée, ont fait long feu.

Priorité à la première couronne. A la première lecture, le document actuel n’a visiblement qu’une seule ambition : sauver le soldat Delanoë. Paris vaut bien un SDRIF. Les projets se concentreront donc sur la première couronne, avec quelques investissements sur la banlieue en déshérence et un visible oubli de la seconde couronne, marge de la marge. On court à nouveau derrière la banlieue au lieu de chercher à trouver les équilibres à la bonne échelle. On agrandit Paris et on repousse plus loin et à plus tard les véritables enjeux. Les 300 000 parisiens travaillant déjà en première couronne pourront se sentir comme chez eux. Issy-Les-Moulineaux y veille déjà, baptisant ses nouveaux quartiers d’un sceau Haussmannien. Le tramway fera d’ici peu le trajet La défense, Porte d’Ivry à la grande joie des écologistes. Déjà dans certaines communes proches, les habitants se projettent dans leur nouvel arrondissement, sûrs que les jeux sont faits.

Renchérissement présidentiel. Fiers du résultat, les élus de la majorité régionale allaient pourtant se faire doubler sur leur droite par le Président dans son discours d’inauguration de la nouvelle aérogare de Roissy en juin. Puisqu’on voulait de la concentration, de l’écologie, de la ville sur la ville et une vraie métropole, Paris et la première couronne pourraient donc former une Communauté urbaine… de droite. Oui la RATP a raison de vouloir relier l’ensemble des terminus du métro via un « métrophérique » finissant de construire le « Gross Paris », en retard d’une guerre sur le « Gross Berlin » né dans les années 20. Oui Paris, comme les autres métropoles mondiales doit pouvoir s’hérisser de tours, pour oublier la laideur de la Tour Montparnasse, celles de Beau Grenelle ou de La Défense. Oui Roissy peut et doit encore grandir, pour la grandeur de la France et de ces colonnes. Première couronne présidentielle et lauriers assurés. Mais l’échelle n’est pas suffisante. L’ensemble aurait nécessité un salutaire changement de regard.

Oublis périphériques. Oubliées les banlieues qui brûlent d’être délaissées. Oubliée la vision régionale d’un co-développement possible entre le centre et ses périphéries. Les 400 000 passagers de la gare des Halles sont au moins aussi légitimes pour discuter du projet que les 7000 habitants du quartier qui dorment autour. Oubliées les réussites comme celles du Mac Val (musée d’art contemporain à Vitry Sur Seine) qui prouvent que la culture peut vivre et s’épanouir en dehors de Paris. Les distributeurs de vélos intéressent naturellement les habitants au-delà du centre. Oubliés enfin les Yvelines, l’Essonne et la Seine et Marne dont les communes périphériques ne seront bientôt plus utiles qu’à l’accueil de populations insuffisamment riches pour intégrer une métropole interdite aux voitures.

Réfléchir à la bonne échelle. Il faut rapidement changer d’échelle et de regard pour réfléchir à l’échelle de vie des habitants de la région capitale. Compte-tenu du « repli » progressif de l’Etat, la bonne échelle de gouvernance pour les grands enjeux urbains est bien la région. C’est à ce niveau que doivent et peuvent être imaginées, les politiques d’aménagement, de transport, d’habitat et les outils adaptés (taxe professionnelle, marketing territorial, aménagement du territoire…) qui permettent les arbitrages et évitent les concurrences stériles. Entre une région qui brûle de trop s’équilibrer et qui hésite entre éco-régionalisme et immobilisme et un Etat dont la tête rêve d’une « métropole londonienne » changeant de visage tous les dix ans, et gérée du bon côté, il reste d’autres chemins à explorer. Pourquoi ne pas choisir la voie du co-développement où chaque territoire serait une richesse.

Changer de regard. Il nous faut passer de la dialectique centre-périphérie et des éternels rapports dominant-dominé, à une approche polycentrique de la région qui corresponde mieux aux besoins des habitants en terme de proximité et de mobilité et permette de casser les barrières entre « ceux du dedans » et « ceux du dehors ». Le co-développement ne réduit plus la banlieue et ses habitants au rôle de simple remplaçant loin des terrains de manœuvre, spectateur sur le banc de touche. Le co-développement est aussi une question de solidarité. Dans leur recherche d’un partenariat avec le centre, les périphéries ne doivent pas oublier leurs propres marges. La première couronne doit insister pour que les communes de la seconde soient d’ores et déjà intégrées à la réflexion, sans quoi leur démarche perdrait de son poids et de sa sincérité. Nous devons adopter d’autres clés de lecture qui correspondent mieux aux réalités urbaines : une pulsation d’une heure autour de Paris plutôt qu’une limite administrative ; un système complexe d’éléments en interaction et pas un empilement d’activités sectorielles ; un système d’horaires et pas un simple cadre spatial ; un labyrinthe à quatre dimensions et pas un simple espace plan ; une ville en mouvement, un système de flux ouvert, plus qu’un système de stocks figé ; un palimpseste et non un corps sans histoire. Paris doit être abordée comme une ville en relation avec son environnement et non pas une entité hors sol, une « exclave » muséifiée. C’est le lieu de vie de tous les usagers (travailleurs, visiteurs, touristes…) et pas seulement le territoire des résidents qui y votent car ils y dorment. En évoquant la politique d’urbanisme de Los Angeles, le sociologue américain Mike Davies utilise l’expression « Consolider le bunker » qui sied à merveille à la capitale française. Paris se « bunkérise » en s’agrandissant. Mais peut-on vivre longtemps sur « une île de prospérité au milieu d’un océan de difficultés ? ». Le modèle actuel est tout sauf durable.

Innover. Echappons au discours convenu et stérile sur la complexité. Les collectivités locales disposent déjà de marges de manoeuvre en termes d’innovation et d’expérimentation institutionnelle. Les chantiers de coopération multi-scalaires entre le centre et la périphérie doivent s’ouvrir en région parisienne comme ils se sont ouverts dans la plupart des villes de Province, autour de projets concrets, de lieux précis et d’interfaces. La région Ile-de-France ne peut demeurer une exception, un archaïsme dans le système français. Personne ne comprendrait que la tête prenne encore du retard. Enfin, si Paris ne va pas aux banlieues, c’est aux banlieues d’aller à Paris. A quand une réflexion commune des marges pour construire un autre dialogue avec le centre plutôt que de se laisser dépecer peu à peu, intégrés et dilués dans un Grand Paris ? A quand des « Assises des périphéries » pour organiser un dialogue à la bonne échelle avec la ville centre ? Quid de la « Conférence métropolitaine » et des pistes évoquées au FALP ? Il est temps d’engager autrement le débat. Il y a quelques années, le géographe Etienne Julliard avait imaginé le terme de « ville urbanisante » pour qualifier les relations équilibrées et apaisées d’une métropole avec son environnement... Il n’est pas trop tard. Les marges peuvent devenir des cœurs, question de point de vue. Les banlieues, c’est dans la tête.