Panser et repenser les paysages.


Par Luc Gwiazdzinski, Xavier Schramm

Publié dans La croix, Edition du 20 septembre 2007

Certains se souviennent sans doute de l'émission de télévision : « La France défigurée ». C'était bien avant les ronflantes injonctions sur le développement durable et les grandes peurs médiatiques sur le réchauffement climatique. Saignées autoroutières, béton, remembrements, décharges sauvages : on s'insurgeait, mais on gardait espoir. Quelques marées noires plus loin, « la France défigurée », rétrécie par le TGV et la mondialisation, est notre triste quotidien : lotissements monotones, rocades, bazars commerciaux périphériques, montagnes bétonnées, steppes maïsicoles ou lambeaux de bocage usé jusqu'à la trame.
En parcourant la France, on a parfois une étrange impression. D'un côté, des centres-villes protégés, muséifiés, de l'autre, des entrées de villes criardes, envahies par les enseignes géantes où tout semble permis. Vallées vosgiennes colonisées par la forêt et plaines voisines transformées par la monoculture. D'un côté, le succès des journées du patrimoine et de l'autre l'indifférence face à une ligne de haies qui disparaît. Nos paysages sont très solubles dans la mondialisation, mais qui s'en soucie ?
Ces évolutions finiront par avoir un impact sur l'attractivité de la première destination touristique au monde. On peut déjà s'étonner que certains touristes pénètrent encore dans nos villes et villages, entourés de ronds-points, contournements et autres périphériques, comme autant de ponts-levis. À force d'évitements, on finit par contourner la France sans la rencontrer, par la frôler sans jamais la pénétrer. Perte de sens dans le seul rapport autoroutier avec l'espace. À peine un long travelling avant, une mise à distance, et la consommation imposée de quelques endroits préservés à voir absolument. Un archipel au milieu « d'espèces d'espaces ».
Même la nouvelle religion du développement durable a de quoi nous inquiéter. La mode de l'énergie renouvelable sème à tout vent des champs d'éoliennes. Le besoin de nature consacre partout l'empire du mobil-home et du camping, qui transforment le moindre terrain en village sans permis de construire. L'avènement du carburant vert nous promet des milliers d'hectares de maïs gourmands en eau et engrais. L'accession facilitée à la propriété sans maîtrise de l'urbanisation fait craindre le pire. Enfin, le repli progressif de l'État laisse les acteurs locaux seuls et désarmés.
Nous savons que les modes changent. Nous ne condamnons pas le promoteur immobilier trop vorace ou l'agriculteur trop avide sans jeter un œil sur nos propres comportements derrière la haie de thuyas. Il ne s'agit pas de verser des larmes sur un passé idéalisé, de prêcher la « naturalité », de prôner la mise sous cloche. Nous savons que l'ensemble de notre territoire est « anthropisé », aménagé par l'homme, et que les paysages ne sont pas éternels. Miroir de notre société, construit social et objet culturel, le paysage est le produit d'un système économique qui le fait et le défait. Il a beaucoup de choses à nous dire sur la société et le « vivre ensemble ».
Ne sacrifions pas nos paysages sur l'autel de la rentabilité et du court terme qui ferait de la France un pays banalisé, sans âme ni identité. Nous ne souhaitons pas vivre dans une gigantesque banlieue monotone égayée de loin en loin par une oasis de qualité, réserve naturelle ou écomusée, condamnés à reporter nos envies d'urbanité vers d'improbables ailleurs. Il existe d'autres voies à explorer que les figures fatiguées, de Disneyland, de Los Angeles ou du musée.
Lançons le débat, cherchons à définir ensemble une philosophie et une esthétique alternatives. Imaginons des outils adaptés à la fabrique de nouveaux paysages autour de principes comme l'équilibre, la qualité et la diversité. Développons une politique d'éducation et de sensibilisation à l'urbanisme, à l'aménagement et au paysage. Entre le musée et le bazar, entre le Panthéon et Décathlon, entre labellisation et babélisation, d'autres approches sont possibles. Le paysage comme palimpseste, patrimoine et projet commun à réinventer ensemble. Pourquoi pas ?

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