Les organisations et les territoires à l'épreuve de l'hybridation, par Luc Gwiazdzinski


Les organisations et les territoires à l'épreuve de l'hybridation

par Luc Gwiazdzinski


On assiste à un éclatement des temps sociaux, des territoires de vie et des mobilités. Les statuts changent, les échelles et les frontières deviennent plus floues. L’irruption des TIC brouille les rapports entre l’espace et le temps, l’ici et l’ailleurs, le réel et le virtuel, l’individu et les communautés. L’effacement progressif de l’unité de temps, de lieu et d’action des institutions oblige à de nouveaux assemblages. Le « big-bang » des organisations et des territoires entraîne de nouvelles recompositions et nécessite d’autres alliages, alliances ou coalitions.

Métissage, multi-appartenance, hybridation des espaces, des temps et des pratiques deviennent des figures courantes du monde contemporain. L’individu devient « polytopique » et les nouveaux espaces qu’il produit définissent de nouvelles hétérotopies qui hébergent d’autres imaginaires. Les frontières entre temps de travail et temps de loisirs s’effacent. Les métiers uniques laissent la place à des « portefeuilles d'activités ». Le temps du voyage devient parfois un temps de travail (et vice versa). L’appartement se fait hôtel, la ville se transforme en station touristique, alors que la station s’urbanise. On distingue de moins en moins la résidence secondaire de l’habitation principale. Les campings sont habités à l’année et pour quelques heures certains musées deviennent bibliothèques. A Paris, en été, la voie sur berges se transforme en plage alors qu’en hiver la place de la mairie accueille une patinoire. Sur les marges, les délaissés urbains produits par la ville postmoderne sont investis par les exclus qui font mentir l’hypothèse des « non-lieux ». Face à la fonctionnalité et à la spécialisation stérilisante des espaces et des temps, des « tiers lieux » et des « tiers temps » émergent qui réinventent la fonction même des territoires comme lieu de maximisation des interactions, lieu de croisements et de frottements : cafés transformés en bibliothèques, laveries automatiques métamorphosées en café, pépinières associant entrepreneurs et artistes mais aussi toitures transformées en jardins, écomusées ou parcs d’attractions habités, etc. Les nuits urbaines deviennent des jours ou des « non-jours ». Les statuts des individus en mouvement se brouillent en termes de nationalités, d'identités, d'appartenances et de fonctions.  Les frontières entre homme et animal vacillent au point que l'on parle désormais de « droit » pour les seconds. Les prothèses techniques qui nous aident à vivre pénètrent nos corps, faisant surgir la figure du cyborg. Avec l’informatique ubiquitaire, les objets qui remettent constamment à jour leur localisation dans le temps et l’espace, deviennent des produits et services hybrides, des assemblages chimériques combinant des éléments stables et instables. De nouvelles coalitions territoriales multi-scalaires s'inventent à la frontière ou dans l’entre-deux. Des hybrides territoriaux émergent autour de politiques publiques inter-territoriales capables de combiner plusieurs objectifs du développement durable et de répondre à des besoins collectifs jusqu’ici indépendants.

Dans cette société complexe, la tendance est aux alliances et aux collaborations (co-opération, co-conception, co-développement, co-habitation, co-voiturage mais aussi inter et trans-disciplinarité…) qui font émerger des méthodes, des objets, des pratiques et des identités nouvelles. En ce sens, l’inter-culturalité devient une obligation et une nouvelle posture.

Le territoire est au cœur de ces recompositions et hybridations qui convoquent le sensible et l’éphémère. De nouvelles figures émergent, de nouvelles scènes et de nouvelles modalités de coopération apparaissent à différentes échelles et selon des modalités plurielles. Pour répondre aux enjeux, des croisements s’opèrent, des hybridations deviennent possibles. Des artistes se rêvent urbanistes alors que des urbanistes en appellent au sensible et à la créativité. La ville « s’ensauvage » et la nature s’urbanise. De nouvelles questions se posent qui concernent les territoires, les organisations, les pratiques, les individus et les groupes. La complexité des situations, l’imbrication des échelles, la multitude des acteurs concernés nous obligent à changer de regard pour répondre aux défis, imaginer et construire ensemble les modes de vie et les formes de la société de demain dans et par de nouveaux territoires.

Ces mutations qui bouleversent nos habitudes nous invitent à imaginer d’autres formes d’intelligence collective pour observer et comprendre les mutations, analyser les hybrides sociétaux et territoriaux qui émergent et construire de nouveaux modes de collaborations pour la recherche et pour la fabrique des territoires. Nous pensons ouverts et féconds les chemins de l’hybridation aux frontières de la recherche et des pratiques professionnelles, des sciences du territoire et des autres disciplines.

Hybridation, croisement, mixage, métissage, inter-relations (…) Comment dire et analyser le composite ? Quelles sont les significations dans la pensée et la pratique scientifique ? L'émergence de ce concept dans le champ des sciences du territoire (donc de la géographie, de l’urbanisme, de l’aménagement, de l’histoire, de l’architecture, de l’anthropologie et de nombreuses autres sciences sociales, …) traduit la nécessité de penser les articulations, les relations et les imbrications entre objets scientifiques (territoire/réseau, inter-territorialité, entre-deux...). Elle permet de revisiter ces objets aussi bien que les pratiques et les principes de catégorisation.

Dans le cadre d’une approche interdisciplinaire, les sciences du territoire ont besoin de s’approprier la richesse d’un concept, de réfléchir aux conséquences épistémologiques, de confronter les approches et les modes de construction de ces objets hybrides, de mesurer leur intérêt et de discuter de leur pertinence.

Qu’est-ce qu’un hybride ? Quelles sont les hybridations à l’œuvre ? Peut-on parler d’hybridité ? Quel intérêt du concept pour les sciences du territoire ? Comment s’en saisir ?


Luc Gwiazdzinski, Responsable scientifique
Colloque TTT3, "Les organisations et les territoires à l'épreuve de l'hybridation"
 ttt3-grenoble.sciencesconf.org

PUBLICATION. Bernard Soulage, Louis Nègre, Gilles Rabin, Quel rail après 2012 ? 2012, Editions de l'Aube

Dans le cadre d’un débat conçu et animé par Gilles Rabin, Louis Nègre Sénateur-Maire UMP de Cagnes-sur-Mer, co-Président de TDIE, publie un essai avec Bernard Soulage, Président des Villes et Régions européennes de la Grande Vitesse, Vice-président de la région Rhône-Alpes et Secrétaire National du Parti Socialiste en charge de Transports. L’ouvrage intitulé Quel rail après 2012 ? est paru aux éditions de l’Aube.
Dans ce recueil d’entretiens, Bernard Soulage et Louis Nègre, deux responsables politiques et présidents d’associations spécialisés dans les questions de transports livrent leurs visions et expériences du système ferroviaire français.
A l’heure où ce-dernier est confronté à de nouveaux enjeux et questionnements tels que la libéralisation des marchés, la viabilité du modèle économique du TGV, le financement des lignes et des infrastructures, il est impératif de le repenser et de l’adapter aux exigences politiques, économiques et écologiques qui sont celles du XXIème siècle. Du lancement de la première ligne TGV, à l’ouverture des marchés à la concurrence en passant par la place des gares, le rôle des collectivités, de l’Etat, etc. les auteurs apportent une vision nuancée souvent convergente, parfois divergente, et présentent leurs projets pour améliorer les performances du système ferroviaire français.