Les joyaux de la petite reine

Par Gwiazdzinski Luc et Marzloff Bruno,

Publié dans Libération, édition du 21 mars 2007

Le contrat signé entre la mairie de Paris et l'entreprise JCDecaux sur le déploiement d'un parc de vélos dans la capitale nous oblige à réfléchir les futurs urbains dans le cadre d'une nouvelle trame de mobilités quotidiennes. Plutôt que de parler de «dommages collatéraux», envisageons plutôt les «vertus collatérales» de l'introduction d'un tel dispositif pour le système urbain et pour les citadins.

A quoi ressemblera une cité de plus de 2 millions d'habitants avec 20 000 vélos publics et 200 000 déplacements quotidiens ajoutés à ceux qui existent déjà ? A quoi ressemblera un système de transport urbain qui maillera tous les modes possibles ? Le projet contraint à élargir la question des déplacements à vélo à l'ensemble du système de mobilité. A Paris, 1 500 stations vélo s'ajouteront aux 250 stations de métro et aux 2 500 stations de bus. Comment l'usager, citadin, touriste ou visiteur naviguera-t-il dans cette ville ? Comment fera-t-il pour surfer sur les réseaux ? Paradoxal système ! Plus il existe de modes de transport, de combinaisons et de choix possibles, plus les déplacements deviennent efficaces et... complexes. Pour être fluide et ergonomique pour ses usagers, un système de mobilité doit assurer cinq continuités : modale, géographique, temporelle, tarifaire et informationnelle. Une telle contrainte nécessite la mise en place de centrales de mobilité pour renseigner les horaires, les disponibilités, les connexions, les perturbations et les ressources de la ville. Il nous faut inventer un «Google» de la ville. L'information, c'est déjà la moitié du déplacement. C'est l'intelligence des mobilités.

A quoi ressemblera une agglomération qui généralisera son parc public de vélos ? Quand les cités voisines de Paris, les périphéries, se mettront-elles au vélo ? Chacune ira-t-elle avec son propre système ? Ce choix s'opposerait alors à la nécessaire articulation des mobilités et à la porosité recherchée entre les cités. La question n'a pas encore été posée.

A quoi ressemblera la rue ­ sa chaussée, ses couloirs, ses passages et ses trottoirs ­ avec 350 000 déplacements par jour ? Les stations vélo empiéteront sur la place de la voiture, leur circulation également. Le cycliste revendique en même temps la chaussée des voitures, les voies réservées et le trottoir. Alors, faut-il séparer, ou relier ces flux aux rythmes divers ?

A quoi ressembleront les 500 000 abonnés du vélo parisien ? «Un cycliste aujourd'hui, selon un policier cité par la revue Ville & Transports, c'est un automobiliste en pire.» Des années de tolérance ont laissé ouvert à certains le champ de l'incivilité. Une réflexion s'impose sur la coexistence des modes et les partages de l'espace collectif pour de civiles et urbaines cohabitations. Le code de la rue est une première réponse. La civilité passe d'abord par une intelligence, un respect et une pondération des vitesses. Le piéton donne le ton. La lenteur retrouve ses droits. N'oublions pas que, pour tous, la marche en ville reste le mode dominant.

A quoi ressemblera une ville où les vélos fleurissent ? Le succès populaire du Vélo'v lyonnais séduit ! Les appels d'offres de parcs à vélos des grandes villes se déclineront bientôt à chaque niveau de l'armature urbaine. Les parkings, les gares, les hôtels s'y mettent déjà ; la RATP, la SNCF et les autres transporteurs routiers y travaillent. Avec ou sans plan de déplacement, les entreprises lorgnent sur cette solution innovante pour leurs salariés. Bref, les initiatives fleurissent de partout et la demande suit. Si le vélo n'est pas une alternative à la voiture, sa combinaison avec les autres modes renforce la conviction qu'il est possible de vivre à Paris et dans les autres métropoles sans sa voiture. Nous passerons d'un véhicule personnel qui peine à se frayer un chemin dans la ville à un véhicule individuel public fluide. De Helsinki à Lyon, le vélo public et massifié est une chance pour la cité. Les bénéfices ­ gain de place, économie de moyens motorisés, exercice physique, fluidité des parcours, moindre pollution, etc. ­ atteindront des seuils à mettre à l'actif de la «ville durable». Les enquêtes menées à Lyon soulignent aussi la sympathie des citadins pour cette offre nouvelle et les nouvelles sociabilités qu'elle suscite. Sans verser dans un angélisme béat, admettons qu'une alchimie bienvenue s'installe enfin dans notre vieux pays. A travers le vélo urbain collectif, la petite reine apporte des réponses légères mais convaincantes à l'encombrement urbain et améliore la qualité de vie des usagers au quotidien. Le vélo, dans cette formulation inédite, nous invite à une révolution qui le dépasse. Nouvelle donne : sortons enfin la tête du guidon. En route !

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