40 ans, Le périphérique au coeur



25 avril 2013, par Babel Photo
40 ans – Le périphérique au coeur
Luc Gwiazdzinski
 25 avril 1973 / 25 avril 2013 - le périph célèbre ses 40 ans aujourd'hui.

« Dans quelques jours, faire le tour de Paris en voiture sans rencontrer un seul feu rouge ne sera plus un rêve ». C’est en ces termes qu’en 1973, le journaliste vedette Léon Zitrone annonça aux français installés devant leur poste de télévision noir et blanc, l’inauguration du boulevard périphérique parisien. L’anneau de béton a donc quarante ans. Anniversaire oblige : l’infrastructure extérieure s’invite un temps dans les conversations capitales. La marge éclaire le centre et nous invite à dépasser les bornes. Le pas de côté permet l’émergence d’un débat plus large sur la métropole parisienne à différentes échelles, entre compétitivité et solidarité, fluidité et urbanité, développement et besoin de nature. On nous annonce la fin de périphérique et le périphérique n’a jamais été aussi présent.
Chacun d’entre nous, usager, passager, habitant de la zone périphérique, est un témoin de sa vitalité. Avant de l’enterrer, il est temps aujourd’hui d’évoquer son rôle central dans la vie quotidienne de millions de personnes et d’imaginer les futurs possibles à l’échelle de Paris et sa région.

Symbole ambigu
Butte témoin de notre histoire récente, le périphérique est dès son origine un objet urbain paradoxal qui marque à la fois le sommet des Trente glorieuses et le début d’une période de crise permanente dont nous ne sommes jamais sortis. Il est un emblème de la modernité dans un vieux pays nostalgique qui ne croit plus au progrès et aux lendemains qui chantent. Il est aussi le symbole d’une société de la consommation et de l’automobile dont nous avons perçu les limites. Depuis son inauguration par le premier Ministre Pierre Mesmer le 25 avril 1973, son image a bien changé. L’autoroute urbaine la plus empruntée d’Europe est désormais synonyme de nuisances. Artère essentielle et frontière palpable, le périphérique irrigue et ceinture une ville à l’étroit qui rêve d’un avenir métropolitain soutenable. Construit sur les anciennes fortifications, le « périph » qui a succédé aux « fortifs » est très souvent perçu comme une barrière, un mur entre Paris et la banlieue, ceux du dedans et ceux du dehors. Mieux, le périphérique semble un frein aux ambitions d’un Grand Paris qui sait désormais que son avenir est aussi sur les marges, hors les murs. La mise à l’échelle de Paris passe par le dépassement du périphérique, son intégration urbaine et métropolitaine.

Dernière frontière
Depuis quelques temps, on se met à rêver de la frontière coupure en frontière couture. Le périphérique apparait comme une nouvelle terre promise pour une métropole à l’étroit qui veut dépasser les bornes pour réconcilier l’Urbs et la Civitas, ré-articuler la ville fonctionnelle et la ville administrative, améliorer la vie quotidienne des habitants et conserver son rang dans le classement des villes mondes. Après avoir envisagé de limiter la vitesse à 70 km/h, on parle désormais de couvrir le boulevard, d’y installer une canopée solaire voire une exposition universelle qui permettrait d’y développer des services, des équipements et des jardins. Au-delà des discours, les coûts de couverture élevés et la perspective peu attractive d’un parcours de 35 kilomètres en sous-sol semblent condamner à l’avance l’enterrement de première classe du périphérique. L’actualité serait plutôt aux petits tricotages permettant de retisser le lien entre la ville et la banlieue en continuant à profiter par endroit des perspectives métropolitaines. On cherche à estomper l’impact d’une infrastructure essentielle que l’on ne peut faire disparaître en multipliant les liaisons de part et d’autre, en équipant les portions couvertes et en végétalisant. La couverture de la Porte des lilas avec son jardin, son cinéma et son école de cirque est une figure intéressante de ce futur périphérique qui s’esquisse.
Le nouveau jardin Anna Marly avec ses pelouses, ses jardins partagés et ses terrains de sport dans le XIVe arrondissement creuse cette voie. On cherche aussi à tisser des liens sous l’anneau de béton là où le périphérique est suffisamment haut avec par exemple un projet de place publique dans le XVIIe arrondissement. Dans le XIXe, on plante des milliers d’arbres de part et d’autre de l’infrastructure et l’on enchante le projet en évoquant - avec un lyrisme qui rappelle Jean Giono - l’émergence d’une « forêt linéaire ». Ailleurs on réfléchit à de nouvelles passerelles et passages : une maille à l’envers, une maille à l’endroit. Nous rêvons personnellement que les nuits parisiennes puissent également trouver là un autre lieu de déploiement et d’exténuation à la hauteur des ambitions de la ville lumière, un espace où chacun puisse vivre sa nuit sans réveiller l’autre.

Occasion d’innover
Le périphérique est à l’image d’une société paradoxale, où dans la même journée chacun change d’avis et de costume et exige tout et son contraire. Au moment où l’automobile mute vers moins de nuisances et alors que les réseaux deviennent intelligents, son aménagement est un symbole et un test pour Paris, les communes limitrophes et l’ensemble de la région. Le chantier qui s’ouvre est ambitieux et doit permettre de concilier les enjeux de desserte et les enjeux d’habitation, prendre soin des 300 000 personnes qui passent un peu de leur temps sur le ruban d’asphalte sans oublier les 100 000 personnes qui résident à proximité. Frontière intérieure du Grand Paris qui émerge, le périphérique ne doit pas seulement être perçu comme une contrainte.

C’est une chance pour Paris et les communes d’expérimenter avec l’ensemble de la population de nouvelles formes d’habiter les architectures de la mobilité. Entre ville mobile et ville nature, circuler et résider, le périphérique est un formidable laboratoire, un terrain d’aventure pour une nouvelle ingénierie urbaine, un objet hybride pour un nouvel imaginaire métropolitain. Le périphérique parisien est l’occasion d’esquisser les contours d’une nouvelle « métropolité » entre local et international, habitants et résidents, Urbi et Orbi. Le boulevard périphérique n’est pas qu’un simple ruban de bitume et de béton. C’est un monument, un rite, un symbole qui cristallise les enjeux d’une société en mouvement. Le périphérique est un monde habité. A nous de l’urbaniser.


Luc GWIAZDZINSKI est géographe et le préfacier du livre Périphérique, Terre promise.
Enseignant-chercheur en aménagement et urbanisme à l’Université Joseph Fourier de Grenoble il est responsable du master Innovation et territoire et président du Pôle des arts urbains. Il oriente ses enseignements et ses recherches sur les questions de métropolisation, de mobilité, d’innovation et de chrono-urbanisme. Expert européen, il a dirigé de nombreux programmes de recherche, colloques internationaux, rapports, articles et ouvrages sur ces questions avec l'économiste Gilles Rabin : Urbi et orbi, 2010, l’Aube ; La fin des maires, 2007, FYP ; Si la route m’était contée, 2007, Eyrolles ; Nuits d’Europe, 2007, UTBM, Périphéries, un voyage à pied autour de Paris, 2007, l’Harmattan ; La nuit dernière frontière de la ville, 2005, l’Aube ; La nuit en questions (Dir.), 2005, L’Aube ; La ville 24h/24, 2003, l’Aube (…) /
http://estran-carnetsdetonnement.blogspot.com/

Périphérique, artère ou frontière ?


18 avril 2013, par Babel Photo
Périphérique, artère ou frontière ?

Par Gilles Rabin, économiste

http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=710524940392135442#editor/src=sidebar

Dans "Le Rhin" Victor Hugo rêve d'un fleuve devenu artère entre les ennemis irréductibles et non plus frontière symbole de chansons guerrières et jalonnée de lieux qui - de Clovis à Hoche - sont autant de cicatrices toujours à vif.

Le périphérique est ainsi. Il évite d'entrer dans la capitale et de géner son repos. Il permet de tangenter sans pénétrer, pratique ourlet des géographes hésitant encore entre deux mondes. Avant le politique parlait déjà de ceinture rouge, et Citroën quittait Javel pour Aulnay, amenant les ouvriers loin de la ville lumière. Paris ne change pas avec ses quais de la seine rendus aux piétons et excluant la voiture. Le banlieusard voituré est à nouveau victime de l'octroi. Il doit prendre les transports en communs pour payer son écho à la ville musée dans son décor de cinéma. Le périphérique est donc une "frontière rhénane" qui exclut.



Mais le périphérique s'agrandit. Avec  l'A86 et le système de transport du Grand Paris, le cercle s'élargit. Paris est devenu plus grand que la simple commune et ses vingt arrondissements. Paris fend l'armure et la ceinture doit desserrer quelques crans pour laisser la ville respirer. Le nombre de banlieusards travaillant à Paris est devenu quasi identique au nombre de parisiens travaillant en banlieue. Alors à quoi bon cette ceinture serrée qui étouffe ? A quand un périphérique métamorphosé en artère urbaine avec ses arbres et ses pistes cyclables.

Si Paris accepte la périphérie pour grandir il ne restera plus que les adeptes de la "démocratie du sommeil" pour se réfugier derrière des frontières administratives dépassées, en retard d'une guerre. Le périphérique est devenu une ligne Maginot, le chef d'oeuvre désormais inutile d'une époque dépassée.





Gilles Rabin est économiste.
Il est l'auteur avec Luc Gwiazdzinski de plusieurs ouvrages qui mettent en avant
sa vision et son approche hybride entre l'économie, les transports et la sociologie.

Photos: (1)  Pieter Louis  (2) Ludovic Maillard / Babel Photo

Carte postale du 21e arrondissement
 ou L’invention du périphérique


Carte postale du 21e arrondissement
 ou L’invention du périphérique

Par Luc Gwiazdzinski, géographe



"La syntaxe urbaine affranchit."

Daniel Payot



Un proverbe gitan nous a avertis : "Ce n’est pas la destination mais la route qui compte". Le boulevard périphérique n’est pas un simple ruban de béton et bitume émetteur de nuisances. C’est un monument, un rite, un symbole et un mythe qui cristallise les enjeux d’une société paradoxale en mouvement. L’objet médiatique fait partie d’une géographie radiophonique familière de la France routière aux côtés de la "patte d’oie d’Herblay", du "Tunnel de Fourvière" ou du centre de "Rosny-sous-bois". À la fois coupure et couture, barrière et ouverture, porte d’entrée et possible échappée, le périphérique est paradoxe. C’est un monde à découvrir, un territoire et une frontière intérieure à investir, un imaginaire et un terrain d’aventure exceptionnel pour les acteurs de la fabrique urbaine, les artistes et toutes celles et ceux qui voudront bien l’explorer en acceptant de changer de regard. Le périphérique nous invite à être, à habiter, à exister, c’est-à-dire à "avoir sa tenue hors de soi, dans l’ouverture". Expérience sensible et dépaysement garantis.

Un territoire à explorer

Perdu quelque part entre l’intra-muros et le hors les murs, la ville-musée et la banlieue en mutation, le périphérique est une route particulière, de celles qui étourdissent et désorientent, séparent et relient. Cette infrastructure de transit qui tourne et contourne un centre qu’elle évite est aussi un territoire habité. Aux 35 km du contournement s’ajoutent les échangeurs et les bretelles, soit un réseau de près de 90 km pour une superficie totale de 1 680 000 m². Le "21e arrondissement" de la capitale dispose d’un bon niveau d’équipements avec 5 centres commerciaux, 13 parkings, 22 stations-service et 28 hôtels associés.

 Un paysage en mouvement

Cette route est un paysage visuel et sonore construit pour et par la voiture. Le fleuve gronde et on l’entend de loin. Bordé de plusieurs milliers d’arbres, l’anneau à demi enterré qui passe sous un lac, un bois et une forêt compte une cinquantaine d’hectares d'espaces verts, fleuris et boisés et abrite quelques lapins visibles sur les pentes des sorties Muette ou Maillot. C’est aussi un paysage en mouvement, une mine de points de vue sur la ville et sur quelques totems ou monuments inscrits dans nos mémoires : Bercy 2, les cheminées des usines de traitement, un pont avec ses faux airs de Golden Gate à San Francisco, l’immeuble de TF1 qui renvoie à la lanterne magique, les grands Moulins de Pantin, les publicités et enseignes rouges de la ville-écran et tant d’autres objets et bâtiments mis en paysage par le parcours.

Une expérience à vivre

En regardant à travers le pare-brise, on se sent partie prenante d’une histoire urbaine qui dépasse Paris et rejoint d’autres skylines d’un copier-coller métropolitain mondialisé. À la fois ici et ailleurs, dans une étrange expérience cinétique. Comme au cinéma, on tourne autour de Paris, coincés dans nos bulles, coupés du monde réel et suspendus au-dessus de la route sur un toboggan de bitume. Assis dans nos voitures, entre vision panoramique et traveling avant permanent, chacun est à la fois spectateur et acteur du film de la ville lumière.

 Des peuplades à découvrir

Plus de 100 000 personnes résident le long du tracé et subissent les nuisances. Parmi eux, les moins chanceux, les naufragés, sans domicile fixe, qui campent sur les bas-côtés. À ces résidents permanents s’ajoutent près de 325 000 "habitants temporaires" ou "périphiens" qui habitent l’espace et le temps de la mobilité. On repère d’abord la noblesse avec ses chauffeurs routiers et leurs camions aux plaques d’immatriculation exotiques. Ils vous regardent de haut mais pèsent si lourd que l’on évite de les provoquer en "duel". On ne peut échapper à la majorité, les habitués comme des poissons dans l’eau dans leurs déplacements quotidiens, surtout s’ils filent et se faufilent en scooter. Les occasionnels venus de plus loin connaissent mal le territoire et ses pratiques. Moins rapides, moins fluides, ils ont du mal à anticiper, à se glisser dans le flux et sont vite identifiés et chahutés par les impatients. Les anges gardiens forment une peuplade hétéroclite composée de policiers, de patrouilleurs et de dépanneurs. Ils sont craints ou attendus comme des sauveurs. Les nettoyeurs entretiennent la route et ses abords. À toutes ces peuplades qui habitent et cohabitent le long du boulevard, il faut ajouter la figure renouvelée de l’"auto-stoppeur", toujours prompt à s’inviter dans votre véhicule.

Des coutumes à éprouver

Dans cet embouteillage quasi-permanent, le "périphien" s’énerve car "ça n’avance pas", poursuit son activité car "il n’a pas de temps à perdre" ou bien rêvasse. La radio est son amie, un lien avec le monde à peine moins dangereux que le téléphone portable, les sandwichs, la bouteille d’eau, le paquet de gâteaux ou le sac de sucreries. Le matin, la voiture est souvent la continuité du domicile avant de devenir l’extension du bureau. Le rétroviseur fait office de miroir, les coffrets de maquillage tiennent en équilibre et les pinces à épiler s’invitent dans les narines alors que les miettes de croissant s’éparpillent sur les sièges. L’habitacle modulaire du véhicule passe du statut de salle de bain à celui de bureau, de celui de cuisine à celui de chambre à coucher, de la fonction de transport amoureux à celle de salle de cinéma avant de s’hybrider en baraque foraine et de finir en ménagerie ou en cirque avec la présence d’animaux familiers.

Un développement à venir

En parcourant à leur tour le périphérique, en y inscrivant leurs œuvres, les artistes vont le magnifier. En l’immortalisant, en collectant des images et des témoignages, ils vont le folkloriser et transformer l’objet en monument, le rite en patrimoine et les habitants en personnages. Ils vont faire surgir de nouvelles représentations, contribuer à une poétique de la route, créer une certaine esthétique du non-lieu, se rapprocher du terrain et des gens pour mieux mettre à distance et en scène. Ce faisant, ils feront sans doute surgir un périphérique à la fois plus froid et plus glamour, lui-même et son double spectaculaire. Ils vont inventer le périphérique comme d’autres avant eux ont inventé la montagne ou le rivage avant leur mise en tourisme. À l’image de la Route 66 et de la nationale 7, le périphérique aura bientôt ses nostalgiques, ses objets souvenirs cultes, ses pèlerinages et ses foules de touristes bigarrés. Quarante ans, c’est un peu trop jeune pour être enterré. Par contre, c’est un bon âge pour accéder au statut de réseau iconique ou d’icône réticulaire.

En incorporant pleinement le périphérique, en cherchant à le ré-enchanter pour mieux le dépasser, Paris ne fera qu’incorporer un bout d’elle-même, la richesse et la dynamique de ses marges.

Bonne visite et à vos cartes postales.

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Luc GWIAZDZINSKI est géographe.
Enseignant-chercheur en aménagement et urbanisme à l’Université Joseph Fourier de Grenoble il est responsable du master Innovation et territoire et président du Pôle des arts urbains. Il oriente ses enseignements et ses recherches sur les questions de métropolisation, de mobilité, d’innovation et de chrono-urbanisme. Expert européen, il a dirigé de nombreux programmes de recherche, colloques internationaux, rapports, articles et ouvrages sur ces questions avec l'économiste Gilles Rabin : Urbi et orbi, 2010, l’Aube ; La fin des maires, 2007, FYP ; Si la route m’était contée, 2007, Eyrolles ; Nuits d’Europe, 2007, UTBM, Périphéries, un voyage à pied autour de Paris, 2007, l’Harmattan ; La nuit dernière frontière de la ville, 2005, l’Aube ; La nuit en questions (Dir.), 2005, L’Aube ; La ville 24h/24, 2003, l’Aube (…) /



Photos: Ludovic Maillard (2) et Pieter Louis( 1 et 3) / Babel photo