Témoignage routier…
Carte postale d'Outre-Atlantique
Mobilités douces : "de Strasbourg à la Maison Blanche en Barbecue roulant"
Carte postale d'Outre-Atlantique
Mobilités douces : "de Strasbourg à la Maison Blanche en Barbecue roulant"
Publié dans la revue L'autre voie n°3, 2007
http://www.deroutes.com/cartepostale.htm
par Luc Gwiazdzinski
Je viens de sillonner la côte Est des Etats-Unis à bord d'une Citroën Traction
Avant équipée d'un " gazogène " propriété de Roger Marty, retraité de 74 ans
et père de mon ami Jean-Louis de Bernolsheim.
Fils d'un fabricant de boissons de Perpignan, Roger, 16 ans pendant la guerre
avait réussi à sauver deux camions qu'il équipa d'un gazogène. A l'occasion
de son quarantième anniversaire de mariage, ses enfants lui dénichèrent une
Citroën " 15 " - 6 cylindres, équipée d'origine d'un gazogène de 1939, de marque
Sabatier - Decauville " La Lilloise ". A 50 ans passés, l'antiquité a encore
une vitesse de croisière de 80 kilomètres/heure et autorise des pointes à 110
kilomètres/heure. Le fier pilote catalan précise cependant : " a la bachade
touts als sants ajouden ", " à la descente, tous les saints vous aident
". La voiture consomme ses 20 kilos de charbon de bois concassé aux 100 kilomètres
et l'on est obligé d'arrêter le véhicule tous les 50 kilomètres pour remettre
10 kilos de charbon de bois : " du charbon de bois de chêne ou de hêtre épuré
uniquement, surtout pas du pin ". La mise en route demande un bon quart d'heure
chaque matin avant que le gaz dégagé par le foyer ne devienne carburant en se
mélangeant à l'air. La Traction gazogène partie du port de Marseille le 25 mai
est arrivée à Boston le 5 juin. Formalités douanières accomplies et autorisations
en poche, la petite caravane - Traction " gazogène ", van Pontiac et camion
d'assistance technique V8 - s'est s'élancée pour un raid aller-retour de près
de 3 500 kilomètres de Boston à Washington en passant par Northfield et New-York.
Première étape : toute l'équipe est accueillie à la Mairie de Boston. On découvre
dans cette ville une Amérique qui ressemble beaucoup à l'Angleterre avec ses
petites maisons victoriennes. A 60 kilomètres à l'heure sur les Highways, ou
au ralenti dans les ruelles du quartier italien, il a fallu apprendre à se mêler
au trafic. Pas facile de circuler entre les Macks, Dodge, Mercuri, Chevrolet,
Oldsmobile, Buick et autres Cadillac. Pas le temps de flâner : il faut prendre
la route pour Northfield au Nord où des " citroënnistes " américains nous attendent
pour leur concentration annuelle. La route fut bonne mais quelle idée de faire
des sorties d'autoroute à gauche... La voiture était l'attraction du Citroën
Quartely où se pressent les DS, SM et autres 2CV vestiges d'une époque où la
marque aux chevrons avait tenté l'aventure américaine. " Prix de l'originalité
" pour Roger et sa voiture qui finit la journée aphone... Quelques " baptêmes
en Traction " plus tard, il a fallu reprendre la route pour " Big Apple ". Les
regards admiratifs des américains qui nous dépassent nous transforment en ambassadeurs.
Je me souviens dans une côte cette maison, ou plutôt ce mobil home monté
sur une remorque qui nous a doublé. Nouvelles mobilités déjà expérimentés par
l'ami Marc avec ses maisons alsaciennes à colombage. A chaque arrêt le même
accueil enthousiaste et des explications dans un américain approximatif : "
This car runs only on charcoal ". Entre Maurice Chevalier et le Commandant
Cousteau : succès assuré.
Deuxième étape : New-York. Arrivée dans la moderne Babylone en soirée avec
l'étrange sensation d'entrer dans un piège qui se referme. Par contre, il est
bien plus facile de rentrer et de se repérer dans New-York que dans Paris. Le
temps de trouver un garage pour parquer les véhicules et c'est l'attroupement.
Policiers et badauds incrédules se pressent autour du véhicule en multipliant
les questions. On donne rendez-vous le lendemain soir à Times Square : la voiture
est exposée trois heures durant sur Broadway... sans autorisation spéciale.
Toujours la même incrédulité : expliquer aux new-yorkais ébahis et aux touristes
étonnés que la voiture ne fonctionne qu'au " Cargoal ", pardon au " Charcoal
". Peu de temps pour la dérive dans les rues de la " City that never sleeps
". Un petit tour à Liberty State Park, près de la Statue de la Liberté. Quelques
explications à des policiers américains pour arracher le droit de prendre des
photos. Argument suprême : la statue est un cadeau de la France au peuple américain
et le sculpteur est alsacien.
Dernière étape : la Maison Blanche. La route est longue et Washington une ville
étrange où se côtoient les symboles de la puissance américaine et les quartiers
délabrés. Le passage de la flamme olympique est cependant l'occasion de se mêler
au cortège avant d'aller remettre une caisse de vin Clinton " cuvée gazogène
" à la Maison Blanche. Un Clinton du Sud-Ouest : ça ne s'invente pas. Manqué
de peu : entre les préparatifs du sommet du G7 à Lyon et le passage du gazogène
: le mari d'Hillary a dû choisir. Belle consolation la remise d'un sympathique
message de remerciement du président américain nous attendait à notre retour
en France. Retraite bien méritée pour Roger et sa voiture de légende ? Il semblerait
que non... les Américains en ont redemandé... Nous aussi.
Washington, 17 juillet 1996
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